AÉROSOLTHÉRAPIE
Topographie de l'art
Paris
04. 12. 20 - 20. 03. 21
Commissaire
C.N. Jelodanti (Clara Djian & Nicolas Leto)
Artistes
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Christian Aubrun
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Bruno Bressolin
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Larry Deyab
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Frédéric Fleury
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Orsten Groom
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Jean Faucheur
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Hippolyte Hentgen
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C.N Jelodanti
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Rainier Lericolais
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Renée Levi
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Jules Olitski
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Jim Sanders
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Shoboshobo
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Sindre Foss Skancke
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Roland Topor
Interview et article dans Libération sur l'exposition
(cliquer pour lire)
L'exposition « AÉROSOLTHÉRAPIE » présente divers travaux plastiques de quinze peintres ou dessinateurs utilisant tous l'aérosol ou l'ayant utilisé – Jules Olitski, Roland Topor et Larry Deyab, de la partie, sont décédés respectivement en 2004, 1997 et 2016. Cette utilisation s'avère d'une nature diverse, protéiforme.
Certains artistes ont recours à la bombe de peinture de manière exclusive, soit pour tracer, soit pour recouvrir la toile ou le support du dessin. D'autres, plus parcimonieux ou plus aventureux, en usent en complément de manières de peindre ou de dessiner plus conventionnelles. Le spray, l'acte de vaporisation, vient dans ce cas enrichir à la fois leur palette, la composition et l'effet stylistique produit.
L'aérosolthérapie, la technique de soin qui fournit à l'exposition son intitulé, consiste à faire inhaler à un malade, par nébulisation, des médicaments en suspension dans un gaz, et ce, pour acheminer dans ses voies respiratoires un micro-brouillard (l'aérosol au sens strict) de substances curatives. Rapporté à l'expression artistique, le principe aérosol-thérapeutique entend suggérer que la peinture aérosol, la Spray Painting, n'est pas sans effet sur l'état même de la représentation, picturale comme graphique. Légère par sa matière mais dense par ses effets, celle-ci peut agir comme une relance inventive, comme un renforcement, comme un étai bénéfique. Son pouvoir de dynamiser l'art pictural ou le dessin en fait un allié essentiel, fraternel, secourable au besoin, de la création plasticienne.
Paul Ardenne
DYM - L'ORIGINE DE L'ART / 220 x 270cm
UNE FUMÉE
Orsten Groom
Mon ami l’écrivain Pierre Pachet est décédé en 2016.
Une plaque commémorative a été posée à son domicile.
Pierre était juif - mais encore fallait-il le connaître pour le savoir.
La plaque ne le mentionne pas, ce qui ne l’a pas préservée d’être salopée peu de temps après
par un folklorique tag antisémite.
Colère et stupéfaction - mais plus stupéfiant encore :
mon insondable stupidité à la découverte de cette information.
En effet le journal indiquait en toutes lettres :
« Une croix gammée découverte sous la plaque de Pierre Pachet »
- et moi, interloqué, de raisonner : « comment ça « sous » ?
Ils ont retiré la plaque pour dessiner une swastika en dessous, puis la remettre ? Incroyable !»
C’est dire comme c’est bête un peintre.
Bien sûr tout le monde a compris que ça voulait dire « en dessous » (en bas quoi) mais pas moi.
Me voilà donc parti dans le raisonnement suivant :
« Les actes / marques antisémites sont tellement courants, constants, quotidiens depuis la nuit des temps
- pas étonnant qu’on les retrouve sous chaque chose : ils sont une telle constante de l’humanité, qu’à tous les coups si on grattait les peintures rupestres de Lascaux et Chauvet on en trouverait dessous - c’est forcé ».
Et cette réflexion m’a soudainement fait hurler de rire.
Seul l’art peut ménager une issue - seul l’art peut prendre en charge l’affliction du réel pour le délirer,
pour réaliser ce « bond hors du rang des assassins » (Kafka).
Seule la peinture pouvait expérimenter une telle faille cognitive (débile) selon son propre raisonnement,
et réguler ce trait d’esprit rabattant les peintures pariétales aux graffitis primaires
- c’est-à-dire les jouer ensemble.
Car l’art ne produit jamais aucune victime : en art on peut massacrer, jouer la 3ème guerre mondiale,
faire pleurer Jacqueline - sans quoi on devient un fanatique de la réalité, un idéologue.
En art toutes les valeurs se neutralisent et se jugulent par intimité interposée, contre la tyrannie du réel
et la catastrophe du temps humain.
Ainsi, les graffitis antisémites comme fond du temps, comme préalable de l’art, du rapport au monde
- le pariétal et la saloperie historique, la débilité culturelle - je les ai livrés en pâture à la toile.
Mais pas tout seul : car ce geste ignoble, dégueulasse, qui m’est tellement étranger qu’il menace mon identité même, il me fallait justement le déléguer pour l’offrir à l’interface du tableau.
J’ai donc dépêché quelques amis antisémites - des polonais comme moi pour leur remettre la bombe.
Ce, suivant deux principes. Le premier, « de chevalet » : l’observation que la plupart des croix gammées sont toujours foireuses, dessinées de travers ou à l’envers, comiquement trop compliquées pour les crétins qui les promulguent (et par là-même les ratent).
Le second suit une expression argotique polonaise ancrée dans la Shoah :
Szukasz Dym ?
Tu cherches l’embrouille ?
Littéralement : la fumée.
C’est cette fumée que ce tableau convoque.
Cette fumée de trouble, d’ambivalence, une fumée sous le feu à l’origine de l’art
- pour prendre en charge l’horreur du monde auquel il fait paroi.
Une fumée hilare, aussi légère que grave comme seul l’art peut l’être
- une fumée pour Pierre Pachet.